Communiqué de l’association Vosges Nature Environnement concernant le projet de réintroduction du Grand Tétras dans le massif des Vosges
« L’association Vosges Nature Environnement (VNE), après avoir pris connaissance de ce projet, ses objectifs et le contexte dans lequel il doit se dérouler, émet les observations suivantes.
Sur la forme :
Les associations Oiseaux Nature et Vosges Nature Environnement, pourtant agréées par le préfet des Vosges, n’ont pas été sollicitées pour avis dans le cadre du comité de pilotage de renforcement des populations, mis en place par le PNRBV suite aux avis défavorables du CSRPN et du CNPN (Conseils Scientifiques Régional et National).
Le PNRBV (Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges) a réalisé dans ce cadre un dossier complémentaire afin d’apporter les éléments de réponses et les compléments qu’appelaient les avis du CNPN et du CSRPN. Il n’est pas recevable pour nous que ces deux instances n’aient pas été sollicitées à nouveau pour un 2ème avis suite à la modification du dossier initial.
Sur le fond :
La pertinence de ce projet est à examiner au regard du contexte qui a amené le déclin et la quasi disparition de l’espèce dans le massif vosgien et aux exigences de densité de population pour espérer sa survie durable.
D’après l’Union International de Conservation de la Nature (UICN) la viabilité d’une population de tétras est de 500 individus, 250 mâles et 250 femelles. D’après I. STORCH, scientifique allemande reconnue experte auprès de l’UICN, 50 000 ha sont nécessaires au maintien d’une population. Selon une étude sur l’habitat en 2010 dans le massif vosgien la superficie favorable ne serait que de 10 000 ha.
Le projet présenté qui s’apparente à une réintroduction, « envisagerait raisonnablement la capture de 10 oiseaux en 2 campagnes de capture annuelles de chacune une semaine, l’une au printemps et la seconde en automne ». Ces 10 oiseaux, tous mâles apparemment, seraient répartis chaque année pendant 5 ans sur deux sites, alors qu’un des deux n’a même plus de femelles…
Comment dès lors espérer raisonnablement une augmentation de la population permettant d’espérer sa survie à terme….
Le plus préoccupant selon nous est le contexte qui a amené la quasi extinction de l’espèce dans le massif vosgien, contexte qui en toute logique aurait du être réapproprié, avant toute introduction d’individus prélevés ailleurs, ce qui n’est malheureusement pas le cas.
« Les pressions qui ont conduit au déclin de l’espèce dans les Vosges sont connues, bien qu’il ne soit pas possible actuellement d’évaluer leurs effets respectifs et synergiques : changements climatiques, habitats favorables très insuffisants, fragmentation et rupture des corridors, dérangements humains, dérive génétique, pression de prédation et collisions avec des infrastructures type ligne HT, câbles remontés de ski et clôtures. Il s’agit avant tout de pressions anthropiques directes ou indirectes qui ont pour conséquence de provoquer un déséquilibre dans l’écosystème et une déstructuration de la chaine trophique et de divers processus de régulation naturels. » Aux pressions anthropiques mentionnées par le CSRPN, il faut ajouter les effets du changement climatique qui représentent un handicap de plus au maintien des populations de grands tétras dans les Vosges.
Dans le dossier complémentaire il est invoqué la plasticité de l’espèce face au changement climatique.
Or, le climat observé dans les Vosges aujourd’hui est très éloigné des conditions optimales pour le Grand Tétras. Ces dernières années, le massif vosgien a connu des printemps précoces, détruisant les nichées devenues précoces, par le retour de gelées tardives et (ou) de fortes et longues précipitations ; les couvées de remplacement subissant souvent le même sort.
Le Grand Tétras est une espèce proie et l’importance d’un manteau neigeux assez long dans le temps est vital pour sa survie. Aujourd’hui, la diminution du temps d’enneigement dans le massif vosgien est un fait incontestable et ce dernier hiver confirme cette tendance.
Avec les épisodes de sécheresse, qui deviennent hélas récurrents, la maturation de la myrtille peut être stoppée et la ressource alimentaire du Grand Tétras fortement impactée… Le Grand Tétras n’est pas adapté aux températures élevées de nos étés actuels.
A l’inverse des populations vivant dans les Alpes, celle des Vosges ne peut gagner en altitude pour s’adapter à ce changement des conditions de vie.
Par ailleurs, les tétras norvégiens vivent d’un milieu de vie différent, dans une taïga et vieilles pinèdes très claires, avec bouleaux et des pins, sans sapin. Comment vont-ils s’adapter aux milieux vosgiens clairement forestiers et plus fermés avec une explosion de la régénération du hêtre qui ferme les sous-bois ?
En ne prenant en compte que ce seul paramètre climatique, il apparait que le grand Tétras a très peu de chance de s’adapter à ce nouveau contexte, et que l’opération est vouée à l’échec..
Concernant la qualité des habitats :
En mars 2019, le Conseil Scientifique du PNR des Ballons des Vosges dans une note de cadrage sur l’« Avenir du Grand Tétras dans le massif des Vosges », Le déclin continu des populations vosgiennes de Grand Tétras nous indique clairement que les conditions d’habitats ne sont toujours pas favorables malgré les efforts consentis depuis plusieurs dizaines d’années »
L’avis du CSRPN (p.5) caractérise ainsi l’absence d’évolution positive du contexte de pressions anthropiques …: « Ce constat d’extinction démontre sans ambiguïté que les pressions s’exerçant sur l’espèce et ses habitats dans le massif vosgien n’ont pas été levées ni même freinées, bien au contraire et que les mesures engagées n’ont pas été suffisamment ambitieuses pour inverser la tendance. »
Et dénonce :« l’absence de prise en compte du premier principe fondamental édicté par l’UICN pour décider quand un projet de translocation est une solution acceptable » Ce qui nécessite de « s’assurer de l’identification et de l’élimination correctes de la (ou des) menaces responsables de toute extinction, ou de leur atténuation suffisante ».
L’étude de faisabilité présentée et sur laquelle repose le choix de lancer cette opération ne répond pas à cette nécessité, et les mesures d’accompagnement prévue ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux.
Le CSRPN évoque à juste titre : « la frilosité des mesures d’accompagnement et le manque de certitude quant aux quelques moyens qui sont proposés »
…plus que des « mesures d’accompagnement », il faudrait avoir préalablement éliminé ou suffisamment réduit les menaces responsables de son déclin pour espérer redonner au Grand Tétras un habitat favorable. Le projet annonce seulement quelques mesures d’accompagnement qui ne sont pas à la hauteur de ce qui serait nécessaire pour qu’une telle opération de renforcement puisse éventuellement avoir quelque succès. Par exemple, la poursuite des travaux d’amélioration des habitats est une bonne mesure, mais qui ne concerne hélas que des superficies beaucoup trop réduites (75ha/an).
La question de la surdensité d’ongulés, au rang desquels la population de sanglier qui ne cesse de s’accroître, est également évoquée pour ses effets directs et indirects sur l’écosystème.
Dans le nouveau SDGC validé par l’État, l’ interdiction d’agrainage a été levée et réduite aux seules forêts en ZPS. Malheureusement la ZPS « massif des vosgien » est constituée d’une multitude d’entités forestières déconnectées et il sera désormais possible d’obtenir des dérogations pour l’agrainage de dissuasion en périphérie immédiate de la ZPS dans un nombre très important de communes. Même s’il est prévu comme mesure d’accompagnement d’interdire les contrats d’agrainage sur les quelquescommunes vosgiennes concernées par les 2 sites de lâchers, cela ne représente pas grand-chose à l’échelle de l’aire récente du Tétras.
Nous partageons cette analyse, qui montre l’insuffisance et l’inadéquation des mesures envisagées. Au-delà de l’interdiction l’agrainage dans tout le massif vosgien, il aurait fallu initier une véritable politique de soutien aux retours des grands prédateurs (loup et lynx) comme alliés objectifs du rééquilibre des écosystème et de la régulation des populations de cervidés et sangliers.
Concernant le coût de l’opération
Il est regrettable que seule soit proposée une évaluation des coûts relatifs aux deux premières années alors qu’il est prévu de développer le projet à minima sur 5 voire 10 ans pour en attendre un effet positif. Quoiqu’il en soit cela se chiffrerait à plusieurs millions d’euros et c’est inacceptable au regard d’un échec quasi assuré.
L’exemple de la réintroduction de l’espèce dans les Cévennes illustre bien cet échec patent. Plus de 600 oiseaux d’élevage ont été lâché pendant 25 ans, accompagnés d’un piégeage des prédateurs pour arriver à ce jour à la présence supposée de quelques individus erratiques. Ce n’est pas soutenable, ni acceptable éthiquement.
Ce projet de réintroduction très coûteux est par ailleurs voué à l’échec car les tétras sauvages venant de milieux de vie complètement différents, seront relâchés dans un milieu dégradé et hostile, celui-là même qui a conduit à la disparition des tétras vosgiens.
Conclusion
VNE émet un avis très défavorable au projet d’introduction dans le milieu naturel de Grand Tétras dans le département des Vosges pour les 5 prochaines années, pour les raisons suivantes.
- Une prise en compte insuffisante des facteurs à l’origine de l’effondrement des populations de Grand Tétras dans les Vosges.
- Une démarche qui nous semble ne pas permettre d’éviter l’extinction de la population car les conditions indispensables au rétablissement d’une population viable de Grand Tétras, au regard de l’approche scientifique, ne sont pas réunies.
- Les quelques mesures d’accompagnement envisagées sont loin d’être à la hauteur des besoins qu’une telle opération nécessiterait pour espérer des résultats positifs.
- Un coût élevé, sans aucune garantie de réussite, bien au contraire pour une opération difficilement justifiable. L’argent public mobilisé devrait être plutôt consacré à la poursuite et l’amplification des actions déjà en cours en vue de rétablir le bon fonctionnement des écosystèmes, à l’échelle du massif vosgien et de tout mettre en oeuvre pour éviter que la situation ne se dégrade un peu plus.
VNE comme le CSRPN s’inquiètent : « à propos de l’augmentation du tourisme et des activités de plein air au sein des espaces naturels vosgiens dans un contexte déjà très contraint par les changements climatiques et leurs effets directs et indirects sur la biodiversité dans toutes ses déclinaisons.
VNE, préconise la libre évolution des forêts actuellement en réserves biologiques initialement dirigées vers le maintien du Tétras, en requalifiant lesRBD (Réserve Biologique Domaniale) Grand Tétras, « sans Grand Tétras », en RBI (Réserve Biologique Intégrale) ou à minima en Réserve Biologique Mixte.
Cette proposition répondrait pleinement aux enjeux d’amélioration de la biodiversité globale d’une partie des écosystèmes forestiers vosgiens par une mesure de protection forte. »
9 commentaires
Catherine
Merci pour ce bel article scientifique plein de bon sens !
COURRIER
J’ai observé des grands tétras dans ma jeunesse(j’ai 77 ans) dans le massif forestier de ma commune(Moyenmoutier), et je pense qu’il peur être réintroduit dans les Vosges. Pourquoi ne pas essayer en petites quantité.
Bastien
position bizarre , s’agit-il d’égo froissé, la FNE ( ses chefs ) seraient ils susceptibles au point de rejeter le grand tétras?
peut-être aussi préfèrent ils le loup? ah mieux , l’ours , pour faire peur aux éleveurs?
ayatollahs ? pire? non pas possible
dommage !!
Clara KARAMARKO
On s’en fou un peu de l’avis de Vosges Nature Environnement
Bernard SCHMITT, Jean François FLECK et toute la maison de retraite ont fait leurs temps.
Laissez les personnes compétentes et optimistes avancer;
Le Tétras sera de toute façon renforcé 🙂
Bisous
C. Perrin
Respect et chapeau bas pour les « retraités » cités et d’autres de la même trempe, sans lesquels compétences, expériences, clairvoyance, engagement désintéressé et sans faille manqueraient terriblement !
Que plus de jeunes s’engagent réellement dans la durée pour prendre la relève et épauler les « pas encore retraités » qui vont ramer !… On les attend partout bras ouverts dans plein d’associations !
Quant à l’avis d’associations telle que VNE (et pas FNE !), ils sont validés par des administrateurs et ne sont ni l’affaire d’égo, ni l’affaire de une ou deux personnes (faut se renseigner avant de causer !). Toujours des avis étayés, et ici, si on lit et on contrôle, c’est aussi celui des spécialistes qui sont sur le terrain depuis des décennies, mais ne sont pas écoutés (« penser que, trouver que, avoir le sentiment que », c’est commenter avec son p’tit égo et ça n’a rien de scientifique !).
Les non spécialistes proposaient de réintroduire que des mâles… pour se reproduire !!! Faut le faire, non ? Ca dénote du niveau ! … Ou quand les stratégies politiques priment sur l’intérêt du vivant, même dans certaines structures qui soi-disant défendent l’environnement… et vont faire crever des tétras! Lire le magnifique livre de Michel Munier pour mieux comprendre pourquoi…
Très pénible en tout cas ces commentaires personnels non fondés où chacun se croit spécialiste de tout et critique gratuitement!
Boeglen Christiane
Dans ma jeunesse 66 ans maintenant je sais qu’il y avait encore des tétras entre les ferme auberge du Gsang et du Belacker (haut rhin)un membre de la LPO allait régulièrement les voir
Réintroduction du Grand Tétras : « La bêtise des Vosges ! » selon Vincent Munier – Saint Die Info
[…] La réintroduction du Grand Tétras dans le massif des Vosges, qui devrait avoir lieu dès ce printemps, fait couler beaucoup d’encre. La Préfecture des Vosges, le Parc Naturel des Ballons des Vosges et la Région Grand Est y sont favorables. Contrairement aux conseils scientifiques régional et national du patrimoine naturel, ainsi que des associations de protection de l’environnement sont également contre, nommément Oiseaux Nature 88 et Vosges Nature Environnement. […]
Deybach Geneviève
Quand j’avais une douzaine d’années (née en 1961), mon papa qui était un passionné de la nature, m emmenait écouter le chant du coq de bruyère près du Klintzkopf. C’était des moments magiques que je n’oublierai jamais et que j’aime raconter à mes enfants et petits enfants car c’était une approche très particulière. Je doute que les jeunes générations actuelles et futures auront encore cette chance . Pourquoi je n’y crois plus. A l’époque les sangliers restaient dans les fonds de vallée et ne montaient pas jusqu’au plus haut sommets de notre massif. Maintenant, quand on se promène par exemple vers le col du Oberlauchen, tous les sous bois sont retournés par les groins des sangliers et je m’imagine mal qu’un oeuf pondu au sol par la poule ait des chances d’arriver à l’éclosion.
Dans ma jeunesse j’ai eu le privilège de participer au lâcher de marmottes dans le Wormspel. Ce dernier s’est soldé par un échec car les marmottes n’arrivaient pas à se déplacer assez rapidement dans les myrtilliers et la bruyère pour échapper aux prédateurs. C’est pourquoi il faut bien étudier la faisabilité d’une réintroduction pour d’une part éviter la souffrance aux animaux et d’autre part gaspiller les deniers publics.
leclercq
Je suis globalement d’accord avec cette analyse ; pour nous scientifiques ayant étudié l’espèce depuis 40 ans et publié nos résultats dans un livre de synthèse (Leclercq et Menoni 2018 , ed. biotope) le facteur limitant principal est le manque d’habitats favorables ; et ce n’est pas avec les quelques mesures ponctuelles d’amélioration qu’il le deviendra avant de nombreuses années. De plus la politique nationale d’intensification des coupes (déjà à l’oeuvre dans le Jura par ex.) laisse peu d’espoir au vieillissement des peuplements forestiers pourtant gage d’obtention de milieux favorables à l’espèce..
Ceci ne remet nullement en cause l’argument de restauration de la diversité génétique et l’étude de faisabilité démontre clairement la possibilité d’un recrutement plus important de jeunes oiseaux dans les années suivant l’introduction d’oiseaux sauvages. Encore faut-ils qu’ils puissent trouver de nouveaux territoires favorables où s’installer afin de reconstituer une métapopulation de plusieurs centaines d’individus indispensable à une survie à long terme. !
Par contre attention à ne pas utiliser d’arguments non démontrés comme le réchauffement climatique qui pour l’instant semble plutôt favorable à la reproduction (1976,2003 et 2023 meilleures années dans les massifs suivis du Jura.).