Deux ouvrages ludiques en sapin local, culminant à 14 mètres, vont accompagner la tenue de la septième édition du Forum International Bois Construction, à Epinal le 5 avril, puis à Nancy les 6 et 7 avril 2017. Dérivé du Forum International de la construction bois de Garmisch-Partenkirchen en Allemagne, le Forum Bois Construction bénéficie de l’expérience d’une équipe qui s’appuie depuis 21 ans sur les plus éminents établissements d’enseignement universitaire et de recherche sur la construction bois en France, au Canada, en Finlande, Suède, Allemagne, Suisse, Autriche.
Chaque année, le Forum International Bois Construction réunit pour un congrès hautement professionnel les acteurs français et internationaux de la construction et de l’architecture bois. Cette année, le Forum revient pour la première fois au Centre Prouvé de Nancy, institué comme point de chute biennal qui allie une grande accessibilité et un ancrage délibéré dans le Grand Est, terre de bois.
Après des sessions à Beaune et Besançon, l’arrivée du Forum au Centre Prouvé, en avril 2015, avait suscité l’envie d’ajouter une touche de bois à un centre des congrès moderne tout en béton et en verre. L’agence nancéienne Studiolada avait donc conçu pour l’occasion une arche élégante pour laquelle la municipalité de Nancy avait trouvé ensuite d’autres usages. L’année suivante, à la Cité internationale de Lyon, la filière française du Douglas a mis en place un parcours sensoriel baptisé « Immersion » signé par l’agence Patriarche, qui prit ensuite le chemin du Carrefour International du Bois à Nantes.
Sapins de Pâques
Cette année, c’est du sapin local qui a été choisi comme matière première pour les deux totems dressés à Nancy et à Epinal afin de créer un lien entre le congrès et les citoyens. Dix ans après le « Grenelle de l’environnement », il s’agit de rappeler à quel point la lutte contre le dérèglement climatique impose de poursuivre les efforts en matière de développement d’une filière française de l’architecture en bois. L’édition 2017 du Forum sera précédée pour la première fois d’un prologue scientifique sur le Campus Bois d’Epinal, dans les locaux de l’ENSTIB. Une première composition sera dressée par les Compagnons du Devoir sur la place des Vosges dans le centre ville d’Epinal. Elle sera inaugurée le mercredi 5 avril, à 13 heures, en présence de Michel Heinrich, Député Maire d’Epinal. Le lendemain, jeudi 6 avril à 10H30, l’inauguration de la seconde installation sur le parvis du centre Prouvé marquera le point de départ de deux journées de conférences et d’échanges.
De HAHA à HOHO
L’agence vosgienne HAHA a relevé le défi de l’édition 2017. L’architecte Claude Valentin est un grand connaisseur, praticien de l’architecture bois et enseignant chercheur à l’ENS Architecture de Nancy. Il a pu compter une nouvelle fois sur l’aide du prescripteur bois de Gipeblor, Christian Kibamba, du bureau d’études spécialisé Nicolas Barthès, ainsi que sur l’interaction avisée des Compagnons du Devoir (ICCB) menée par Julien Lecarme et Thomas Bisch qui se chargeront du montage de ces deux ouvrages ancrées sur des socles en panneaux massifs CLT de KLH. Les compositions de Claude Valentin sont une nouvelle variation sur le thème de la conception à base de sciages simples de même section. Cette fois, les pièces de bois sont solidarisées en fagots susceptibles de s’emboîter solidement pour générer – avec une grande liberté d’assemblage – un ensemble à la fois stable et démontable, susceptible d’être réassemblé sur un autre site d’une autre façon. L’ouvrage de Nancy sera réinstallé à l’entrée du parc de la Pépinière pour la scénographie d’ « Embranchement » en juin 2017. Ce jeu de construction s’inscrit parfaitement dans la démarche de l’architecte qui aime se plier aux contraintes d’éléments de base simples pour en faire surgir une écriture étonnante, comme celle qui marque par exemple l’une de ses dernières réalisations en date, telle la halle de Tendon dans les Vosges.
La verticalité, elle, fait écho à l’une des préoccupations actuelle de la filière, en France, comme à l’étranger. De par le monde, les records de hauteur de tours construites en bois se relayent à un rythme accéléré. A Vienne, les travaux de la tour HOHO ont commencé il y a six mois. Livrable fin 2018, l’ouvrage devrait culminer à 84 mètres sur 24 niveaux.
Interview de Claude Valentin, HAHA, concepteur des deux flèches-totems
Après Studiolada en 2015 et Patriarche en 2016, votre agence HAHA relève le défi des totems cette année : pourquoi cette implication ?
Nous nous sentons concernés et nous aimons ce Forum, international, économique, scientifique et culturel. L’histoire montre combien l’architecture fait sens pour la construction et nous sommes convaincus qu’aujourd’hui l’architecture est stratégique dans les valorisations de la filière bois.
Ces totems sont des objets architecturaux un peu particuliers, comment abordez-vous cela en tant qu’architecte de constructions habitées, est-ce un problème ?
Comment imaginer une architecture solitaire, n’est-elle pas toujours située dans un contexte tout aussi important ? Comme le forum, l’agora, la place publique, que nous étudions, est un espace qui semble vide mais que nous habitons ensemble! Le totem n’est pas une œuvre solitaire, c’est une architecture qui crée une relation. Il manifeste la présence du Forum dans la ville et il tente d’exprimer publiquement la beauté du matériau bois. La silhouette très verticale du totem se perçoit de loin comme un grand signal urbain de 14 mètres. Mais c’est aussi un volume que l’on traverse, que le vent et la lumière font vivre. La structure se déploie au niveau du sol pour offrir des bancs en invitant à s’assoir et discuter. Le totem offre une infinité de visages. Sa forme varie selon l’angle par lequel on le regarde, de près ou de loin. Grâce au jeu des lumières et des ombres, sa structure réticulée « diffracte » ou « pixellise » le volume global. Cette approche poétique fait partie de l’art de bâtir. L’architecture est une discipline qui concrétise l’alliance fertile entre art-technologie-sciences. Nous construisons avec la rigueur des techniques en cherchant à la dépasser.
Dans votre démarche, songez-vous à un ouvrage éphémère, fanal d’un congrès, ou à quelque chose de potentiellement plus marquant et durable ?
Pouvons-nous construire en oubliant l’importance des ressources dans nos économies frugales? Nous avons imaginé pour ce totem monumental : la légèreté ! Une forme diaphane, une alternative à l’image du bois parfois rustique. Il a été conçu en économie circulaire pour être entièrement démontable et reconstruit différemment sur d’autres sites (place Stanislas à Nancy et Bordeaux).
En quoi la déduplication du totem sur deux sites a-t-elle influé sur la conception ?
La diversité des contextes des deux sites urbains nous a conduits à une « œuvre ouverte ». Le totem devait prendre place en tenant compte des opportunités paysagères et y répondre comme un révélateur. Comme souvent en architecture et quelle que soit l’époque, nous apportons des réponses spécifiques à chaque lieu avec un mode constructif répétitif et donc économique. Cela nous a amené à penser un double module de base (mâle + femelle) et ouvert à une infinité de combinaisons. Sa forme se développe à partir d’un module simple : un fagot de 9 ou 6 chevrons qui se greffent les uns dans les autres.
Que reflète l’idée générale ?
Chacun est libre d’y voir ce qu’il souhaite. L’architecture c’est d’abord un espace de liberté d’interprétation et d’appropriation. Celle d’un jeu entre le Kapla© et le Tétris© en 3D. Mais derrière cette approche ludique, il s’agit de dire que le bois est propice à l’imagination, qu’il s’agit d’un matériau savant, qu’il mobilise les sciences et la géométrie dans l’espace. C’est aussi un clin d’œil aux dessins de gratte-ciel du célèbre architecte russe El Lissitzky en 1925. Nous voulons transmettre l’idée que le bois est un matériau de construction profondément humain. Il occupe par son caractère vivant une place importante dans la culture des hommes et des métiers.
Cette flèche exige-t-elle des précautions côté BE ?
La flèche est le résultat de l’assemblage particulièrement performant des fagots emboîtés deux à deux. Chaque assemblage se fait avec 9 et 6 chevrons vissés entre eux. La structure de la flèche est suivie et sécurisée par le calcul de notre coéquipier BE Barthès.
Que reflète le choix des matériaux et des sections ?
Nous avons puisé un vocabulaire constructif dans l’univers des scieurs. Nous sommes séduits par les piles magnifiques de bois stockées sur cales. Cette première transformation de la ressource est un enjeu pour la filière bois. N’oublions pas que cette bio-ressource transite du monde agricole-sylvicole au monde de l’architecture réunissant concepteurs, artisans et constructeurs. Nous sélectionnons le bois en section massive brute pour être hissé en totem. Il est le reflet magnifié d’une ressource, abondante, locale, fiable et performante.
Comment avez-vous pris en compte le montage/démontage ?
Cette phase de chantier est une phase passionnante du métier. C’est penser les moyens pour passer du virtuel au réel. Avec les compagnons charpentiers, nous avons pris en compte tout le processus dans le cycle de fabrication et de réemploi : le conditionnement, le transport, le montage in situ et enfin le temps de montage avec toutes les contraintes de sécurité. Le module fagot a été dimensionné pour être manu-portable à deux personnes et assemblé simplement par vis.
Quel rapport entre cette conception et la Halle de Tendon, ou l’approche bois de HAHA en général ?
La démarche de l’entreprise d’architecture est cohérente, nous restons fidèle à nos valeurs. Le modèle économique circulaire est sans doute l’un des plus favorables à la mutation des territoires. Nous partons de la ressource primaire renouvelable locale et réfléchissons aux valorisations industrielles ou artisanales. En outre, le bois est innovant ! Avec le projet Grand Est, la filière architecture mobilise la recherche en entreprise d’architecture. Avec les laboratoires d’architecture dans le cadre CIR et contrat CIFRE architecture, nous accompagnons le transfert technologique et scientifique, nous menons une activité de recherche et développement.
Cette installation exprime-t-elle une utopie ?
Oui, j’allais dire la représentation d’un rêve, mais c’est d’abord la réponse en temps en heure d’une commande, d’un besoin.
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