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samedi 23 novembre

TRADITION : quand faire la fête éloigne le mauvais-œil

Chronique Estonienne n°1

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Clarisse B., Française, fraichement installée dans sa cabane, dans le Sud de l’Estonie, vous raconte ses aventures au milieu des bois, parfois rocambolesques. Ou l’occasion de partager quelques aspects de la culture estonienne.

 

 

Je viens d’emménager dans le Sud de l’Estonie. J’ai donc convié amis et voisins estoniens à pendre la crémaillère. Sans le savoir, j’ai respecté une très ancienne et incontournable tradition : LIIGUD (prononcer ligoude).

 

Liigud, fêter assez pour s’éviter un revers de médaille.

Littéralement, Liigud signifie célébrer. Bien plus qu’un verbe, il s’agit d’un état d’esprit : la chance, c’est fragile ! Il vous arrive quelque chose de bien ? Pour qu’il dure, marquez l’événement généreusement. Invitez vos proches, offrez-leur à boire (et à manger) en abondance, sous peine d’un retour de bâton…

Liigud relève des moyens « du chanceux », impliquant qu’on ne festoie pas à tout va, tout et n’importe quoi. Quelle bonne nouvelle célébrer ? Vœux exaucé, grosse dépense, réussite calculée : tout dépend de l’importance que vous lui accordez. Faut-il forcément organiser la fête du siècle ? Plus vous réunissez de monde, mieux vous conjurez le sort, paraît-il. Des astuces vous aideront toutefois à mesurer l’effort. Par exemple, ce matin, vous vous êtes offert la guitare de vos rêves : le dernier chiffre du numéro de série vous indique le nombre de verres que vous devrez offrir en retour ce soir.

Liigud célèbre la joie, constituant l’occasion d’en semer autour de soi. Certains esprits farceurs y voient également le droit exceptionnel d’en mettre plein la vue, voire de gagner des points sur un rival : inviter un voisin jaloux à admirer votre nouveau bolide signifie de ce fait le convier à se réjouir pour vous, malgré ses réticences.

 

Terviseks !, trinquer à l’estonienne.

Vous décidez d’ouvrir la gnôle (handsa en estonien) du grand-père ? Servez le breuvage selon le rituel Seto* : présentez-vous auprès d’un groupe de convives avec la bouteille et un shooter. Remplissez le verre à ras-bord, tendez-le au premier qui vient : celui-ci doit l’accepter et l’avaler sans trainer, cul-sec si possible, puis vous le rendre. Proposez un petit quelque-chose à grignoter (cornichon, tranche de saucisson, etc.) afin d’éviter les débordements. Réitérez l’opération jusqu’au dernier invité, en sachant que le shooter doit toujours rouler à plein. Ponctuez le service de Terviseks ! ou de Koks ! (à la vôtre).

Si refuser un verre est très impoli, le protocole prévoit deux options de garage : accepter et faire semblant de boire ou n’avaler qu’une mini lampée. Attention, le rôle du serveur est très difficile à tenir, car vos invités ont le droit de vous offrir leur verre, que vous êtes, évidemment, obligé de siffler.

 

Superstition ? Principe de précaution ? Obligation ? En Estonie, un concert raté ou une panne de voiture s’expliquent souvent par un manque de Liigud. Mais à moins de disposer de fonds illimités, Liigud exige une bonne raison de festoyer. Un modérateur, en quelque sorte. Sachez aussi que les Estoniens disposent du meilleur moyen de se retaper : le Smoke Sauna. Rendez-vous samedi prochain !

Clarisse B.

Fête estonienne

Jupes flottantes estoniennes (Nedsaja). Crédits : VaR.

 

* Le peuple Seto, établi dans le Sud de l’Estonie et en Russie, constitue une minorité ethnique de quelque 15 000 personnes. Le chant choral Seto est inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2009.

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