Toute une vie ne se résume pas en quelques heures. Pourtant il est des instants vécus souvent avec douleur qui nous ramènent inlassablement au début de notre histoire personnelle. A une véritable saga familiale comme celle des Laruelle dont l’un des épilogues, s’est déroulé le week-end dernier pour une dernière séance. Un dernier service, à l’auberge du Val Joli au Valtin transformé le temps de quelques heures en machine à remonter le temps à la manière de Merlin l’Enchanteur dans le cycle arthurien des chevaliers de la Table ronde. Certes, Philippe le fils de famille quitte le navire pour devenir ambassadeur de la marque Debuyer après avoir fait grandir l’affaire depuis son arrivée en 1995, mais la vie et l’œuvre du Val Joli ne se résument pas à une seule personne, mais bien à tous celles et ceux qui ont bâti l’édifice en 48 ans de présence voire de sacerdoce.
C’est le 1er janvier 1968 que les Laruelle investissent les lieux. Lorsque Jacques et Marie-Thérèse, respectivement ancien de l’école hôtelière de Gérardmer et de Drouant à Paris, rachètent l’ancien bistrot de pays avec l’inséparable Jean-Paul, alors professeur de lettres au Lycée de la Haie Griselle. Le lieu de vie, d’étape en étape va prendre progressivement toute sa raison d’être sur fond de bonheur, convivialité, camaraderie, amitié de chaque instant. Jacques est derrière les fourneaux avec la volonté d’améliorer le quotidien, Marie-Thérèse est à l’accueil et Jean-Paul se découvre en monsieur loyal de l’établissement entre deux cours de français donnés à des élèves parfois impitoyables dont je fus (ici même je bats ma coulpe, monsieur le professeur tant aimé).
Le Val Joli devient une curiosité où l’on y mange bien, où l’on discute entre les tables, de politique, d’affaires et surtout d’amitié. L’endroit est chaleureux, la voix de stentor de Jean-Paul porte à travers l’unique salle de l’époque dont le plafond remarquable fait de marqueterie est une curiosité. Il fut un temps où l’auberge n’avait qu’un seul radiateur à gaz, une seule prise de courant afin de satisfaire les pensionnaires des 6 chambres spartiates mises à disposition. Mais l’édifice devait s’élever progressivement pour devenir plus professionnel, plus moderne, plus cosy, plus dans l’air du temps….
Et puis le fils/neveu Philippe est arrivé, bousculant les anciens à grands coups légitimes de « ‘ j’ai des idées« . Son passage dans de grandes maisons lui a donné l’ambition d’un grand chef. Comme Joël Robuchon, conseiller du restaurant Le Laurent installé sur les Champs Élysée où le valtinois fit sa cuisine comme d’autres font leur médecine. Ou encore chez Ducasse à Monaco, chez Ediard, au Crocodile, à La Palme d’or à Cannes sans oublier les écoles hôtelières de Gérardmer et de Strasbourg où le « gamin« , âgé aujourd’hui de 45 ans, fit ses premiers pas dans la restauration. Philippe poussa les murs du Val Joli trop petits pour lui, joua des coudes pour trouver sa place et imposer sa marque de fabrique. Le challenge fut relevé jusqu’à la dernière prise de risque consacrée aux ultimes travaux de rajeunissement. L’investissement trop important fut fatal au Val Joli et ses occupants obligés de se résoudre à l’inéluctable, soit de vendre l’établissement à un investisseur. Philippe continua bien à poser quelques notes sur le piano, mais le cœur n’y était plus vraiment…la mélodie n’avait plus rien d’un refrain entrainant, elle ressemblait plus à une rengaine mélancolique dont il ne reconnaissait plus la partition.
Une page se tourne mais la vie continue pour la famille Laruelle. Philippe poursuit son chemin professionnel avec d’autres objectifs et responsabilités, Marie Thérèse et Jacques ont plus de temps à consacrer à leurs petits-enfants et Jean-Paul…restera toujours Jean-Paul, celui qu’on regrette déjà !
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