Pub
S'abonner à la newsletter
Pub

jeudi 04 juillet

Chroniques estoniennes – Le 14 février, j’ai enfin vu le loup !

0 commentaire

0

Écouter cet article

J’habite dans le Sud de l’Estonie, dans une cabane perdue au milieu des bois. Ici, seulement 2 habitants au km2. De quoi pousser la faune sauvage à s’aventurer hors des forêts. Avez-vous déjà vu le loup ? Moi oui, et je garde un souvenir très émouvant de cette première fois.

Hunt, le maître des bois

Le 14 février est apparue dans mon jardin la plus étonnante des coïncidences : un loup (Hunt, en estonien) ! Il trottait nonchalamment, s’est arrêté une seconde, m’a fixée de ses yeux profonds puis a repris sa route, laissant derrière lui une empreinte astronomique. Le soir même, j’ai capté une rumeur sauvage, des hurlements à deux pas puis le souffle d’un gibier traqué : mon loup était revenu, en meute. J’en ai parlé autour de moi : observer le loup chez soi est un phénomène… rare. Pourtant, l’Estonie abrite une importante population : 200 individus pour un espace de 45 339 km2, reliquat d’un passé glorieux au cours duquel le loup fut vénéré.

La langue estonienne est le mémorial de ce culte d’antan. Maître des bois le loup, mais également maître des mots puisque pas moins de 500 euphémismes et autres allitérations existent pour le désigner ou y font allusion.

Susi kaitseb kurja eest, quand le loup protège les hommes

En Estonie, le prédateur est aussi celui des forces du mal, des mauvais esprits. Une apparition, des hurlements, un rêve ont valeur de présage. Un spécimen légendaire et sous-terrain, le Tohundi, veille sur les humains sans contrepartie. On lui accorde par ailleurs des pouvoirs guérisseurs. Vous portez un croc autour du cou ? Sachez qu’il constitue une puissante amulette. Vous tombez sur ses excréments ? Ces derniers entrent dans la composition d’un remède contre la colique. À l’instar de ses poils, à même de soigner une fièvre typhoïde (Hundiviga, en estonien, littéralement maladie du loup).

IMG_20161219_115525Alors qu’en France le grand méchant loup, personnification malfaisante, fut l’objet de traques sanguinaires, en Estonie, il n’en est rien. Là-haut, quelle que fut la nature de ses méfaits, le loup n’a jamais eu à défendre sa place auprès des hommes. Il fut même élevé au rang de protecteur, particulièrement au sein d’une communauté ayant toutes les raisons de le craindre : les éleveurs de bétail. Ces derniers lui reconnaissaient un droit à la chasse, lui octroyant une partie de leur cheptel.
« Faire entrer le loup dans la bergerie » revêtait une signification plus surprenante encore : les éleveurs partaient du principe qu’une attaque était bénéfique, car elle poussait le reste du troupeau à se reproduire (d’où le sens de l’expression française « voir le loup »… ?). Gare à la tentation de rompre le pacte tacite avec le canidé : interdiction formelle de déranger, d’abattre ou même de « gronder » l’animal aux prises d’une faim de loup, sous peine de représailles.

Si vous aussi vous croisez Susi (loup, en estonien du Sud), déployez votre meilleur langage ! Les Estoniens se sont longtemps appuyés sur la croyance que le loup, doté d’une grande intelligence, est également un être sensible aux mots, ouvert à la négociation. Pour l’éloigner, il était courant, en complément de techniques répulsives (enduire les bêtes de goudron de bouleau, d’huile de paraffine et même de poudre à fusil), d’user de formules magiques et autres enchantements*. Ce proverbe estonien est ce qu’il reste aujourd’hui de cette prise de position : « Le loup a la force d’un seul mais l’esprit de neuf hommes ».

Si le loup était autrefois éloigné, il est aujourd’hui soumis à une chasse très recherchée mais très réglementée. Un moyen de réguler les populations, comme c’est le cas dans divers pays membres de l’Union européenne. Alors que les usages anciens se sont envolés, les mentalités, elles, perdurent, notamment en matière de « cohabitation ». Rendez-vous samedi prochain !  

Clarisse B.

* Metsa sikku, Metsa sokku, kuningas Metsa de kuldane, Metsa halli harvalõuga, Metsa péni pikkalõuga! Ära salva salajalta, ära Naksa nägemata, ära puutu minu pulli, ära katsu minu karja! Mine de sohu sobistama, luusimaie laande mien, pikki puida murdemaie, kivi Kulga kiskumaie ! Enchantement oral que l’on peut traduire ainsi : « Bouc de la forêt, chèvre de la forêt, roi d’or de la forêt, menton gris de la forêt, chien à longue mâchoire de la forêt ! N’injecte pas le poison furtivement, ne mord pas, ne touche pas à mon bœuf, ne touche pas à mon troupeau. Va dans les tourbières, fouille dans les forêts, tue les arbres, déchire les pierres. »

chroniques

Estonie

J’habite dans le Sud de l’Estonie, dans une cabane perdue au milieu des bois. Ici, seulement 2 habitants au km2. De quoi pousser la faune sauvage à s’aventurer hors des forêts. Avez-vous déjà vu le loup ? Moi oui, et je garde un souvenir très émouvant de cette première fois.

Hunt, le maître des bois

Le 14 février est apparue dans mon jardin la plus étonnante des coïncidences : un loup (Hunt, en estonien) ! Il trottait nonchalamment, s’est arrêté une seconde, m’a fixée de ses yeux profonds puis a repris sa route, laissant derrière lui une empreinte astronomique. Le soir même, j’ai capté une rumeur sauvage, des hurlements à deux pas puis le souffle d’un gibier traqué : mon loup était revenu, en meute. J’en ai parlé autour de moi : observer le loup chez soi est un phénomène… rare. Pourtant, l’Estonie abrite une importante population : 200 individus pour un espace de 45 339 km2, reliquat d’un passé glorieux au cours duquel le loup fut vénéré.

La langue estonienne est le mémorial de ce culte d’antan. Maître des bois le loup, mais également maître des mots puisque pas moins de 500 euphémismes et autres allitérations existent pour le désigner ou y font allusion.

Susi kaitseb kurja eest, quand le loup protège les hommes

En Estonie, le prédateur est aussi celui des forces du mal, des mauvais esprits. Une apparition, des hurlements, un rêve ont valeur de présage. Un spécimen légendaire et sous-terrain, le Tohundi, veille sur les humains sans contrepartie. On lui accorde par ailleurs des pouvoirs guérisseurs. Vous portez un croc autour du cou ? Sachez qu’il constitue une puissante amulette. Vous tombez sur ses excréments ? Ces derniers entrent dans la composition d’un remède contre la colique. À l’instar de ses poils, à même de soigner une fièvre typhoïde (Hundiviga, en estonien, littéralement maladie du loup).

IMG_20161219_115525Alors qu’en France le grand méchant loup, personnification malfaisante, fut l’objet de traques sanguinaires, en Estonie, il n’en est rien. Là-haut, quelle que fut la nature de ses méfaits, le loup n’a jamais eu à défendre sa place auprès des hommes. Il fut même élevé au rang de protecteur, particulièrement au sein d’une communauté ayant toutes les raisons de le craindre : les éleveurs de bétail. Ces derniers lui reconnaissaient un droit à la chasse, lui octroyant une partie de leur cheptel.
« Faire entrer le loup dans la bergerie » revêtait une signification plus surprenante encore : les éleveurs partaient du principe qu’une attaque était bénéfique, car elle poussait le reste du troupeau à se reproduire (d’où le sens de l’expression française « voir le loup »… ?). Gare à la tentation de rompre le pacte tacite avec le canidé : interdiction formelle de déranger, d’abattre ou même de « gronder » l’animal aux prises d’une faim de loup, sous peine de représailles.

Si vous aussi vous croisez Susi (loup, en estonien du Sud), déployez votre meilleur langage ! Les Estoniens se sont longtemps appuyés sur la croyance que le loup, doté d’une grande intelligence, est également un être sensible aux mots, ouvert à la négociation. Pour l’éloigner, il était courant, en complément de techniques répulsives (enduire les bêtes de goudron de bouleau, d’huile de paraffine et même de poudre à fusil), d’user de formules magiques et autres enchantements*. Ce proverbe estonien est ce qu’il reste aujourd’hui de cette prise de position : « Le loup a la force d’un seul mais l’esprit de neuf hommes ».

Si le loup était autrefois éloigné, il est aujourd’hui soumis à une chasse très recherchée mais très réglementée. Un moyen de réguler les populations, comme c’est le cas dans divers pays membres de l’Union européenne. Alors que les usages anciens se sont envolés, les mentalités, elles, perdurent, notamment en matière de « cohabitation ». Rendez-vous samedi prochain !  

Clarisse B.

* Metsa sikku, Metsa sokku, kuningas Metsa de kuldane, Metsa halli harvalõuga, Metsa péni pikkalõuga! Ära salva salajalta, ära Naksa nägemata, ära puutu minu pulli, ära katsu minu karja! Mine de sohu sobistama, luusimaie laande mien, pikki puida murdemaie, kivi Kulga kiskumaie ! Enchantement oral que l’on peut traduire ainsi : « Bouc de la forêt, chèvre de la forêt, roi d’or de la forêt, menton gris de la forêt, chien à longue mâchoire de la forêt ! N’injecte pas le poison furtivement, ne mord pas, ne touche pas à mon bœuf, ne touche pas à mon troupeau. Va dans les tourbières, fouille dans les forêts, tue les arbres, déchire les pierres. »

0 commentaire

Laisser un commentaire