Samedi dernier, n’ayant pas vu l’ombre d’un loup, j’ai eu tout le loisir de trainer sur Internet. Quelle surprise de découvrir que mon village fut au 18e siècle le théâtre de cérémonies sacrificielles ! Aux pieds d’un chêne séculaire, paraît-il. C’est grâce à cette anecdote que j’ai découvert une information plus actuelle : en Estonie, les Hommes entretiennent une relation toute particulière avec les arbres.
Maausk, quand la nature a une âme
Vous pensiez que high tech et nature étaient incompatibles ? Détrompez-vous. En Estonie, là où l’industrie du numérique est souveraine, sources, roches et forêts sont… sacrées.
En 2017, nombre de croyances animistes, regroupées sous le terme Mauusk, font valeur de référence religieuse. Ces pratiques, destinées à l’entretien de la chance, des relations aux défunts ou de la santé, sont, dans beaucoup de familles, tenues secrètes. À l’instar des lieux « saints » qui les abritent.
Dans le cadre du plan de protection des Sites naturels sacrés (unique en Europe), un site Internet estonien inventorie et géolocalise pas moins de 2500 sanctuaires. Contre 7000 supposément connus et fréquentés. Preuve en est, les offrandes qui y sont régulièrement déposées.
Hiis, les bosquets sacrés
Inviolables, puissants, mystérieux, dangereux. Les Hiis, ces groupements d’arbres sacrés, n’entendent que les prières disciplinées et se referment sur les négligentes. Quiconque en altère la pureté (spirituelle et physique) s’expose, ainsi que ses descendants, à contre coup. Si les Hiis ont vu leur influence fondre au fil des saisons, notamment face à l’Église, cette règle demeure ancrée dans les esprits. Prudence, donc, si vous vous promenez en Estonie. Veillez au moindre faux-pas : casser une branche, ramasser du bois, creuser un trou vous rendront la vie bien dure… À noter que les Hiis ne vous faciliteront pas la tâche : on en dénombre 550 « officiels », compris entre un et 100 hectares, dotés du pouvoir de changer de place.
Pourquoi tant de mises en garde ? Les défunts y auraient été enterrés puis honorés à force d’offrandes (nourriture, vêtements, pièces d’argent) : en négocier l’accès signifiait de ce fait limiter les tentatives de profanations.
Ristipuud, des âmes dans les arbres
À l’occasion de votre prochain voyage dans le Sud de l’Estonie, observez les arbres bordant les routes menant aux églises ou aux cimetières. Peut-être repérerez-vous un spécimen marqué d’une croix latine. De quoi s’agit-il ? D’un monument aux morts. Il était d’usage, au retour d’un enterrement, de graver sur un arbre le souvenir du dernier voyage du défunt. Une manière de marquer le lieu où on lui a dit adieu. Aussi, un moyen de l’empêcher de revenir sans permission. Pendant l’occupation soviétique de l’Estonie, continuer ce type de rituel, par exemple sur les arbres bordant une propriété expropriée, était un signe de protestation contre le régime établi. Également un substitut aux cérémonies religieuses, à l’époque interdites.
Sachez qu’en 1994, soit trois ans après l’indépendance de l’Estonie, 65% des personnes vivant dans le Sud du pays pensaient que les arbres étaient dotés d’une âme. Aujourd’hui, cette pratique funéraire est toujours « vivante ».
Des arbres protecteurs et des Hommes fidèles… En Estonie, la forêt occupe plus de la moitié du territoire. La cohabitation avec la nature, Lood, est la clé de voûte de cet univers. De nos jours, les outils numériques sont l’expression de cette alliance. C’est bien cela la curiosité de l’Estonie : un savant mélange de traditions et d’extrême modernité. Rendez-vous samedi prochain !
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