Rencontre avec l’écrivain Erik L’homme à la médiathèque de Remiremont
- Photographie : Lycée Malraux.
- Photographie : Lycée Malraux.
Vendredi 5 mars, les 2des 8 du lycée Malraux ont eu la chance de rencontrer l’auteur jeunesse le plus vendu en France : Erik L’homme (12 titres, 3 millions d’exemplaires en France, une trilogie « Le Livre des étoiles » écoulée à plus de 1,5 million d’exemplaires, publiée en 26 langues avec une adaptation série en cours de 8 épisodes, pilote en préparation).
En tournée auprès des établissements scolaires dans le cadre de l’action « Auteurs en lycée » (financements Association Interbibly et pass culture), c’est à la médiathèque de la cité des Chanoinesse que le célèbre écrivain a répondu aux questions des élèves. Pour encadrer la classe étaient présentes la représentante d’Interbibly, Mme Louise Perrin, les organisatrices de l’action, les documentalistes Mmes Jacquel, Holderith et Mme Gauche, professeur de français de la classe. Une visite de la médiathèque avait été programmée juste avant la rencontre préparée en amont au CDI.
Chaque élève avait lu un ouvrage de l’auteur, réalisé un exposé de sa lecture devant les autres élèves, préparé un ensemble de questions sur la vie et l’œuvre d’Erik L’homme, et plus précisément le séjour au Pakistan qui lui avait permis de rédiger l’ouvrage « Des pas dans la neige » dans les années 1990. La classe avait préparé des cartes individuelles de remerciement remises à l’auteur à l’issue de la rencontre, lors d’une séance de dédicaces réalisée avec les marque-pages offerts par la médiathèque.
Lors de la rencontre, Erik l’homme est revenu sur beaucoup d’éléments : son enfance, le financement de ses voyages grâce à des campagnes de bûcheronnage de 2 mois et demi l’été, sa rémunération, le circuit du livre, la naissance de sa vocation en 6ᵉ lorsqu’il a fait sa première rédaction et que son professeur de français lui a donné la meilleure note de la classe, le café obligatoire avant la phase d’écriture, le côté trappeur qu’il revendique et qu’il a instillé notamment dans l’ouvrage Masca… Il s’est d’ailleurs particulièrement étendu sur la notion du voyage et de ce qu’il a retiré de sa quête de l’homme sauvage aux confins du Pakistan et de l’Afghanistan dans la chaîne des hautes montagnes de l’Hindou Kouch avec son frère Yannik et son ami Jordi : « Ce voyage au Pakistan, je ne l’ai pas fait en me disant : « je vais écrire un livre. ». Je crois vraiment qu’un voyage, c’est quelque chose qui doit se faire en vivant totalement le présent, en étant immergé. C’est pourquoi je suis toujours très surpris de voir des voyageurs qui passent leur journée entière à mettre entre ce qu’ils voient et eux l’écran de leur téléphone. Ce qui est important, c’est de vivre pleinement ce qu’on est en train de faire. Et si je me mettais dans une dynamique d’écriture quand je voyage, ça m’éloignerait du voyage. C’est pour ça que c’est bien d’écrire une fois qu’on est rentré. »
Tout au long de cette heure et demie d’entretien, il a partagé avec les élèves sa vision du monde d’aujourd’hui, à travers son expérience d’écrivain baroudeur. Voici un aperçu de ses réflexions :
– Comment gérez-vous la frontière entre réalité et fiction dans vos récits ? (Lola)
– « J’essaie d’être joueur, de rester sur une ligne de crête, par exemple pour mon livre Phaenomen. Je ne travaille pas sur ce qui est vrai ou faux, mais plutôt sur ce qui est réel ou non. J’essaie de rendre la frontière la plus floue possible. »
– « Comment avez-vous communiqué au Pakistan ? » (Chloé )
– « C’était compliqué. Il y avait deux personnes qui parlaient un peu anglais, mais sinon, c’était par les gestes et de grands sourires. On a été obligé très vite d’apprendre la langue des montagnes parlée par 400 000 personnes, le Khowar. Et pas de manuel… J’ai pris un cahier et quand j’étais avec des locaux, je tapais sur les objets pour les désigner et j’ai engrangé du vocabulaire. Comme ils étaient surpris et très heureux que quelqu’un essaye d’apprendre leur langue, ils étaient très patients. Maintenant, je pense que je suis le seul Français qui parle Khowar. »
– « Avez-vous tiré des réflexions personnelles des différences de temporalité occidentale et orientale, suite à vos voyages ? » (Mme Jacquel)
– « On est prisonnier de sa culture, quelle qu’elle soit. Lorsqu’on était à Chitral, on incarnait un esprit occidental, on nous surnommait avec affection « les hommes dangereux », parce qu’on essayait de faire plus d’une seule chose par jour. Là-bas, c’est : « Qu’est-ce que tu dois faire demain ? » « Je vais changer les bœufs de pâturage. » Et ils le font quand ils sentent qu’ils doivent le faire. Après, ils vont voir des amis, ils boivent du thé, et cetera.. Une fois que je suis revenu de ce voyage qui a duré plus d’un an, j’ai eu beaucoup de mal à me réadapter. Et pas longtemps après mon retour, je me rappelle très bien être resté pendant au moins 10 minutes à regarder les passages piétons et me dire : si je traverse dessus, c’est bien, et si je traverse un mètre à côté, on siffle et on me met une amende. Quand on a vécu un an dans un endroit où les routes sont des pistes et où la seule chose à faire, c’est de regarder pour ne pas se faire écraser par des jeeps qui passent, c’est bizarre, ces contraintes qu’on a totalement intégrées et acceptées. On ne se rend plus compte que ce sont des contraintes. Soit on s’y fait, soit on ne s’y fait pas. Mon ami Jordi ne s’est pas réadapté, il est retourné vivre là-bas. Moi je m’y suis fait. Mais j’essaie toujours de garder une distance, une réflexion par rapport à tout ça. »
– « Quel message espérez-vous que vos lecteurs retiennent après avoir terminé l’un de vos livres ? » (Lucie)
– « Ça me ferait plaisir que mes lecteurs retiennent plutôt des idées fortes toutes simples : la force, l’importance de l’amitié. L’importance d’être courageux, de ne jamais laisser tomber ses amis et ceux qu’on aime. C’est présent dans l’ensemble de mes livres. S’il y avait un message subliminal, ce serait : prenez du plaisir à lire, lisez des livres parce que c’est génial. Au-delà du plaisir qu’on peut avoir à lire, c’est l’importance du livre qui compte. C’est très différent de suivre l’évolution du monde à travers les images, la télévision, et de lire les infos, car la lecture, les mots s’adressent à la réflexion. Ils nous poussent à un effort. Les images s’adressent à nos émotions. Elles ne demandent pas une réflexion mais une réaction. Les images pour moi, c’est le principal facteur de la manipulation des esprits aujourd’hui. Parce qu’on manipule les gens à partir du moment où, sans filtre, on s’adresse uniquement à leurs émotions. Quand on est face à des images, on est n’importe qui, on est interchangeable, parce que, qu’il y ait quelqu’un ou personne, les images continuent de tourner. Elles s’adressent à tout le monde et donc à personne. Le livre, c’est très différent : c’est un assemblage de lignes, de mots, il ne se passe rien tant que quelqu’un n’ouvre pas le livre et ne déchiffre pas les signes qui sont à l’intérieur. Le livre oblige le lecteur à fabriquer ses propres images, son propre film. Et le film que vous allez fabriquer, c’est le vôtre, il n’appartient à personne d’autre. Il sera différent de celui qui est en train de lire le même livre à côté de vous. Là, vous êtes unique, alors que quand vous êtes spectateur d’images, vous êtes interchangeable. »
– « Que faites-vous quand la motivation semble manquer ?» (Louna)
– « Quand la motivation manque, je vais marcher. Parce que, si vous avez déjà constaté, c’est génial – sinon, je vous le conseille – on ne réfléchit pas de la même manière quand on est immobile et quand on marche. J’ai parfois rompu mes moments de doute en prenant des périodes sabbatiques. Pendant 6 mois, j’arrête les salons du livre, j’arrête d’écrire, j’arrête les rencontres avec les établissements scolaires et je pars marcher. Et là je réfléchis et je me dis : qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Et je reviens parce que, même si je pouvais faire d’autres métiers, c’est quand même celui-là que je préfère. »
–« Comment avez-vous fait pour trouver votre équilibre personnel entre les contraintes de la vie quotidienne et votre besoin de liberté dans un monde de plus en plus normé, de plus en plus répressif ? »
– « Ce qui est le plus important, c’est de connaître ses chaînes, et de les choisir. On ne peut pas vivre sans contrainte. C’est une liberté qui est seulement permise aux morts. Si on choisit ses contraintes, on est plus libre que si on les subit . Alors j’essaie au maximum de les choisir. Il y a des gens totalement libres d’attaches qui se sentent prisonniers de leur propre liberté. J’ai des amis qui ont de vrais métiers, je veux dire avec des patrons, des horaires, et que ma manière de vivre rend un peu envieux. J’en ai deux qui ont pris une année sabbatique, qu’ils ont interrompue car ils se perdaient dans l’absence de contraintes. Il faut s’autodiscipliner. Concrètement, le meilleur moyen pour moi de sentir la liberté, c’est encore de faire mon sac à dos et de partir marcher plusieurs jours. Dans mon sac à dos, il y a tout. Le soir arrive : je choisis un bel endroit, je monte ma tente, je fais mon petit feu ou mon petit réchaud à bois. J’écoute les bruits de la forêt, je sors un livre et je bouquine un peu. C’est extraordinaire. »
– « Que pensez-vous des réseaux sociaux ? »
– « Je n’ai pas de réseaux sociaux et je ne vais jamais les voir. Idem pour les critiques négatives. Je ne porte pas de jugement, mais il faut choisir. J’ai compris que ça prenait beaucoup de temps et vraiment, vivre, c’est faire des choix, vite. Moi, j’ai choisi d’avoir du temps pour ma famille, du temps pour lire, marcher, faire du sport. Et je gagne du temps en étant absent des réseaux. Et je ne suis pas du tout persuadé de l’intérêt fondamental des réseaux pour moi. C’est comme tous les outils, c’est un marteau : si on enfonce un clou avec, on crée un truc, mais si on défonce une tête avec, c’est pas bien. Et je pense que ça peut être très bien pour garder un contact, partager des choses très fortes avec des gens proches, mais après, ça peut avoir des côtés très sombres, très noirs. »
-« Et l’IA en aide à l’écriture ? » (Mme Gauche)
-« J’ai essayé, je me suis dit : ce serait génial si je n’avais plus besoin d’écrire mes livres. J’ai essayé, en tête à tête avec 3 intelligences parallèles, j’ai suivi toutes les recommandations, les tutos etc. Et les résultats étaient parfois un peu surprenants, mais toujours nuls ; ça m’a déçu parce qu’il va falloir continuer à travailler (rires), mais ça m’a soulagé parce que l’IA n’est pas intelligente, elle n’appréhende pas encore la profondeur et les incohérences de l’âme humaine ; elle est incapable de reproduire de manière cohérente des comportements humains irrationnels. Car l’humain est irrationnel, mais agit de manière cohérente. Elle ne comprend pas le non-dit et l’humour, le second degré… Mais le jour où elle sera capable d’appréhender ces traits humains et le second degré, là, il va falloir s’inquiéter. Moi, j’ai la vision de Terminator, Skynet. Qui, à un moment donné, prend conscience d’elle-même et comprend qu’elle n’a pas besoin de l’humain. Par contre, je ne me sens pas menacé, contrairement sans doute à d’autres métiers : les traducteurs, graphistes, peintres… »
À propos de l’auteur : Né en 1967 dans les montagnes du Dauphiné, Erik L’Homme, l’auteur jeunesse le plus vendu en France, est, après une maitrise de géographie, parti plusieurs années à la découverte du monde. Le succès de ses romans pour la jeunesse lui permet aujourd’hui de partager son temps entre l’écriture et les voyages.
1 commentaire
Justice
« L’Homme »…. Le jour de la journée de la femme où l’hystérie s’éparpille dans des cortèges plus extrêmes/idéologiques que revendicatifs.
C’est chercher les problèmes ! Je vous l’dis !